jeudi 20 avril 2017

Le revenu universel : une bonne idée ?.. ou une utopie ?

Beaucoup de Français ont découvert le principe du Revenu Universel avec la campagne de Benoît Hamon. Mais qu'est-ce dont ? Est-ce bien ? Est-ce risqué ? Ou est-ce uniquement une idée qui prône l'assistanat et oublie les travailleurs ? Je vais tenter de répondre à ces questions.
Pour ma part, j’ai découvert le concept bien avant la campagne présidentielle grâce à mon ami Bruno. Foncièrement contre au début, mon avis a évolué au fur et à mesure de nos réunions du gang des poussettes, devant l’école, tout du moins d’un point de vue théorique.



Présentation de l'idée


Selon le BIENle revenu universel est « un revenu garanti octroyé de manière inconditionnelle et universelle à tous les membres d'une communauté ». Un revenu garanti à tous les citoyens, sans condition de revenus ni de travail. Le principe est d’assurer à tout citoyen le minimum pour vivre.

L’idée n’est pas neuve, on en trouve les premières traces au XVIe siècle dans un ouvrage de Thomas More. Sans refaire toute l’histoire de cette idée, notons simplement qu’elle a été expérimentée dans plusieurs pays dans des conditions particulières (Canada, Namibie, et même USA) avec des conclusions plutôt positives. Plus récemment, la Finlande a commencé début janvier 2017 une expérimentation sur 2 ans.


« C’est encore une idée des gauchistes extrémistes ! »
Ben en fait, non. L’idée est là et circule aussi bien dans les sphères libérales que dans les groupes marxistes. En France, on a vu ces dernières années l’idée apparaître sous des formes différentes dans les programmes de Frédéric Lefebvre, Nathalie Kosciusko-Morizet, Nouvelle Donne, Benoit Hamon pour ne citer que les plus connus…  Comme beaucoup de grands principes, on peut en avoir une vision purement sociale ou purement économique, la vérité se trouvant souvent entre les deux.

Quels sont les principes ?
  • C’est un revenu qui est alloué à tout citoyen (majeur ou pas selon les projets) sans autre condition que d’appartenir à la communauté (citoyen français par exemple).
  • La mise en place du Revenu Universel implique la remise en cause du système d'aides sociales actuel pour pouvoir le financer et le justifier.

Chacun a sa vision du revenu universel, pour moi, voici en quoi cela consiste en détail (les montants que j’indique ne sont qu’indicatifs, pour se faire une idée) :

  • Tout citoyen majeur toucherait un revenu mensuel de 1000€, sans condition.
  • Tout citoyen mineur toucherait (celui qui en aurait la charge) un revenu mensuel de 500€ sans condition.
  • Il n’y aurait plus de RSA, de prestations familiales, etc.
  • La Sécurité Sociale ne serait pas remise en cause.
  • Les systèmes de retraite et de chômage seraient refondés.
  • Puisque tout le monde sera aidé par l’état, tout le monde devra participer à l’impôt, au moins de manière symbolique.

Pour le financement, la plus grande partie du financement se fait par les économies sur les différentes prestations sociales qui disparaitraient. Une autre source de financement est également au niveau des services qui gèrent toutes ces prestations. Puisqu’il n’y aura plus de condition pour toucher ce revenu universel, il y aura besoin de beaucoup moins de personnel pour gérer l’attribution de ces prestations.



Les points positifs


La première fois que j'en ai entendu parler, ma première réaction fut épidermique, comme beaucoup : « c’est délirant, ce n’est pas finançable, c'est de l'utopie, c'est la fête de l'assistanat ! » Comme vous l’avez compris, c’est forcément plus nuancé que ça, sinon je n’aurais pas écrit cet article.

Parmi les points intéressants du concept, on notera surtout l’absence de dépendance au travail, mais du coup, par la même occasion, une revalorisation de celui-ci. En effet, le salaire vient en supplément du revenu universel. Le travail ne devient plus une nécessité pour survivre, mais un complément pour mieux vivre. C’est un des points forts de cette idée. Le revenu universel nous permet de subvenir à nos besoins de base. On ne travaille donc plus que pour ajouter du beurre dans les épinards, et selon nos besoins propres.

D’ailleurs, dans les pays où cela a été testé, le taux d’inactivité des bénéficiaires était plus bas durant l’expérience qu’avant. Ce qui tend à prouver que le revenu universel ne favorise pas l’oisiveté, mais au contraire, pousse à travailler.
Certains considèreront que le revenu de base leur suffit et ils pourront ainsi se consacrer à d’autres activités (associatives, artistiques, culturelles, études). Les salariés ne seront plus autant dépendants à leur emploi et les employeurs seront dans l’obligation d’instaurer des conditions de travail décentes pour conserver leurs employés.
D’autres qui pourront considérer qu’ils n’ont pas besoin d’un emploi à temps plein et voudront consacrer une partie de leur temps à des actions politiques (au sens noble du terme), des associations locales et/ou sportives, à se relancer dans les études, dans la recherche. C’est une formidable arme pour relancer le tissu associatif qui s’effrite par manque d’implication.
Je repense souvent à la rencontre que j’avais faite de Richard Stallman, lorsque j’étais en DEA. Il prône depuis toujours le logiciel libre. Qu’il faut développer l’informatique en codant pour soi et non pour une entreprise. Et quand on lui demandait comment vivre si l’on programme uniquement en tant que bénévole sur des projets libres ? Sa réponse a fait rire l’assistance (essentiellement des étudiants en école d’ingénieurs en informatique) : « en vendant des pizzas ». Le revenu universel serait tout à fait adapté à tous ceux qui croient dans la nécessité d’avoir des logiciels libres.

Les agriculteurs, si importants et si mal rémunérés, auraient enfin de quoi assurer de quoi vivre, même lors de conditions météorologiques compliquées, ou lorsque les conditions de vente de leurs produits ne sont pas suffisamment décentes.
La prise de risque lors de la création d’une entreprise serait également, du coup, beaucoup moindre, puisqu’un revenu de base serait assuré.
Le marché du travail serait donc complètement révolutionné, les rapports de force entre employeurs et employés refondés et plus équilibrés. Cela entrainerait un changement révolutionnaire.
Pour ce qui est du chômage et de la retraite, le revenu universel servirait de base. Mais pour valoriser le  travail, on pourrait imaginer un système de points cotisés quand on travaille, et qui pourraient servir à calculer des compléments.
Certains mettent en avant le fait qu’à l’avenir, il y aura moins de travail, que les hommes seront remplacés par les machines, et qu’il faut trouver des solutions. Le revenu universel est effectivement une réponse à cela, mais c’est beaucoup plus que cela. Il permet surtout de faciliter les mutations sociales, les transitions. Que dans l'avenir des emplois soient remplacés par des robots, ou qu'au contraire on crée de nouveaux emplois ou de nouvelles formes d'emplois, le Revenu Universel permettrait ces changements en douceur.

Les points faibles

Tout n'est certainement pas tout rose. Et voici les points qui peuvent poser problème avec cette idée.

Tout d’abord, le coût. Si à terme le système peut facilement s’équilibrer, la période de transition aura un coût non négligeable. Pour ce qui est des services gérant les prestations actuelles, la plupart sont des fonctionnaires, il faudra leur trouver de nouvelles affectations et ne pas les remplacer lors de départs en retraite. C’est un coût qui pèsera sur les finances un certain temps.

Le risque d’inflation des prix. C’est une conséquence possible à laquelle il faudra faire attention. Le revenu universel doit permettre de subvenir aux besoins de base, et si le coût de ces besoins venait à augmenter, il faudrait que le revenu suive aussi.

Il y a aussi le risque que les employeurs décident de bloquer les augmentations de salaire parce que, justement, les salariés toucheraient maintenant le revenu universel et «n’auraient plus besoin» d’être augmentés. C’est effectivement un risque, mais faible, étant donné le point cité plus haut de rééquilibrage du rapport employeur/employé. Les salariés auront moins peur de partir ailleurs si leur condition de travail ne convient pas.


La prise en compte du logement. Je suis assez partagé sur les allocations liées au logement. La logique voudrait qu’elles soient également supprimées au même titre que les autres prestations. Mais il est évident que se loger à Saint-Junien dans la Haute-Vienne n’a pas le même coût que se loger à Paris. Les Aides au Logement devraient donc certainement être repensées, peut-être les rendre plus « locales ».


Le risque de clientélisme. Un des principes qui permet au revenu universel d’être viable financièrement à long terme, est qu’il est « universel ». Un des aspects importants est qu’il n’y a pas d’exceptions et que sa gestion est simple et donc peu coûteuse. Mais il est très difficile pour nos hommes politiques de ne pas vouloir faire plaisir à certains électeurs et créer des exceptions en ajoutant des droits supplémentaires à certains et en en enlevant à d’autres. Ce serait une erreur qui rendrait le système inefficace. C'est d'ailleurs un des points de crispation de la part de certains défenseurs de l'idée face au programme du candidat Hamon.


Un problème philosophique se pose aussi. Pour certains, la « valeur travail » est ce qui est le plus important. Ils pensent que le travail est ce qui permet à l’homme de se construire et de s’épanouir, que le travail devrait être l’axe central de notre société. Pour d’autres, le travail ou plus précisément l'emploi, n’est qu’une forme d’esclavagisme qui bloque l’épanouissement personnel. Le revenu universel est à la fois contrariant pour ces deux visions mais en même temps une réponse. En effet, le Revenu Universel permet à ceux qui le veulent de choisir le travail dans lequel s'épanouir, que celui-ci soit un emploi esclavagiste (et oui, on ne peut nier l'existence de masochistes ;) ), un emploi régulier, ou un travail personnel ou associatif. Après tout, un artiste travaille, même quand il cherche l'inspiration en regardant un paysage au coucher du soleil...


En France, le rapport à l'argent est particulier et il est fort probable que le fait que Mme Bettencourt, par exemple, touche également le Revenu Universel ne passe pas dans l'opinion publique. N’oublions pas cependant que tous ceux qui toucheront le revenu universel paieront forcément plus d’impôts puisqu’ils toucheront plus.



Conclusion


Ma conclusion est que c'est théoriquement une très bonne idée... Mais je pense sincèrement qu'elle ne sera jamais possible en France. Il faut du courage pour la mettre en place, car ce n'est pas qu'une réforme, mais une refonte totale du système et des valeurs.
Mais ce n'est pas la seule limite, le plus gros problème, c'est qu'en France on aime bien aider tout le monde, mais on aime aussi avoir nos avantages spécifiques, et les hommes politiques jouent de ça et passent leur temps à faire des exceptions à tout. On peut noter par exemple que le « revenu universel » de B. Hamon, tellement universel qu'il n'est déjà plus le même qu'au moment de la primaire, ne semble avoir plus grand-chose des principes de base qui le rendent universel et intéressant.

Quelques références :




Commentaires :

Je veux vous faire partager un échange que j'ai eu sur Facebook suite à la publication du blog. Les commentaires complètent bien cet article et avec l'accord de leurs auteurs, je les cite ici.
  • Blaise Madeline : Je pense que Hamon l'a surtout mal expliqué et déformé ensuite (mais ça donne une version crédible de la transition nécessaire et difficile) Je regrette aussi cette version "universelle" sous condition de ressource certes, mais c'est je pense une tentative de justification de chiffrage maladroite. Je ne suis pas d'accord avec ta conclusion, mais c'est surement mon coté utopiste ;)
    • Jayce Piel : Oh oui, la conclusion n'est qu'un avis purement personnel.
      J'espère me tromper.
    • Blaise Madeline : ça fait plusieurs années aussi que je regarde et défend le revenu de base et je suis agréablement surpris du chemin que ça a fait en peu d'année. Il y a encore 3/4 ans, tout le monde me regardait comme un doux rêveur, aujourd'hui c'est dans un programme présidentiel. :) j'espère qu'on pourra commencer a avoir des vrais tests (mieux que la Finlande, trop restreint) dans les 5 à 10 ans et que les mentalités changent. On ne va pas manquer de travail dans les années qui viennent mais on va manquer d'emploi, c'est assez certain.
  • Jean-Marc Gargantiel : Belle analyse dont je partage tous les éléments déployés.
    Je suis pour, évidemment, et c'est même ce qui m'a le plus intéressé dans la vision de Hamon car pour moi, c'était le seul à avoir pris conscience du désastre que fera sur le marché du travail la technologie, dans les années à venir.
    Je note d'ailleurs que son idée a été pas mal reprise depuis, par d'autres candidats, mais avec des arguments différents qui n'ont pas grand-chose à voir et qui sont, à mon sens, assez spécieux: c'est bien le marche du travail qui va être chamboulé et leurs pauvres visions de formations qui viendraient empêcher le désastre ne leurre personne je pense. Le revenu universel permettra d'en amortir la violence. (même si la formation sera primordiale, certes).
    Il permettra aussi, j'en suis absolument certain, de redynamiser les travaux associatifs dans tous les domaines: qui va rester à se gratter les cacahouettes toute la journée en attendant que ça passe? Personne (ou une frange infime de connards inutiles de toutes façons).
    Pour moi, il n'a que des atouts, sauf peut-être, en effet, son effet inflationiste potentiel.
    Quand je vois, par exemple, l'exemple de la continuité territoriale ici, avec les abus des compagnies aériennes qui, puisque la moitié du billet est prise en charge par l'état, se gavent comme des salopes en explosant les prix des sièges dès que la saison touristique commence seulement à s'apercevoir, je me dis que le risque est grand. (mais il faut relativiser dans le sens où ici, la concurrence n'existe pas, il n'y a que 3 compagnies, qui ne se gênent évidemment pas pour coucher ensemble et s'entendre le plus cordialement possible. Et ça, c'est dans tous les domaines locaux évidemment).
    Quoiqu'il en soit, belle 'nalyse Jayce... :)
    • Blaise Madeline : Tout à fait. Cependant je préfère parler de marché de l'emploi plutôt que marche du travail. Semantiquement ça donne sens à ce qui se passe. Le travail, il ne va pas en manquer, au contraire, ce qui va se raréfier, c'est l'emploi salarié. De plus je ne vois pas ça comme un désastre, mais comme une profonde mutation. Mais je suis du côté du mal, je forme des ingénieurs informaticiens et roboticiens ;-)
    • Jayce Piel : Il y a un point où je suis en désaccord. Le Revenu Universel ne devient pas nécessaire ni même utile parce que le marché de l'emploi va diminuer. C'est une forte possibilité mais je ne suis pas si certain que ça que ce soit le cas. Il va changer radicalement oui, mais pas forcément diminuer.
      Le Revenu Universel devient utile/nécessaire avant tout parce que c'est un projet de société ou l'homme, par son épanouissement, est au centre, et non le travail par l'emploi comme c'est le cas depuis des décennies (voir siècles).

      Et concernant Hamon, j'ai été très content de voir qu'un candidat portait ce projet. Tout d'abord surpris que ce soit Hamon au vu de ces actions passées, puis carrément en colère de voir ce qu'il en avait fait.
      Je préfère attendre encore 10 ans pour avoir un vrai RU, que d'avoir sa "vision" du RU. Il montre, selon moi, qu'il n'a rien compris. Il le considère comme justement seulement une réponse à la raréfaction potentielle de l'emploi, et oublie tout le reste.
      Et le pire, c'est qu'en ne le rendant ni réellement universel et en créant un micmac d'exceptions, il le rend infinançable.

      Bref, je suis en colère parce qu'à cause de lui on risque de voir l'idée enterrée en France pour un bon moment.
    • Bruno Deléonet : Tout pareil Jayce.

      J'ajoute que Hamon en a fait un "sous RSA" pour les 18-25, donc rien de RU là-dedans.
      C'est d'ailleurs cette faute cardinale qui fait que je ne voterai pas pour lui.
    • Jean-Marc Gargantiel : Sur le fond, la sémantique, oui, bon, ok... admettons, mais ça ne change rien je pense vu que le mot "travail" ne veut pas non plus dire la même chose pour tout le monde. :)

      Mais je pense que son marché va diminuer (au sens emploi salarié donc), si. Forcément même. Ne serait-ce que parce que la population mondiale ne fait qu'augmenter, pas la surface de travail disponible.
      C'est justement au niveau Associatif et nouvelles économies que ça va transvaser donc.
      Et à cet égard, le RU va dans la bonne direction.

      Et Jayce: je pense que Hamon n'a pas arasé son projet, je pense juste qu'il n'a pas voulu enfoncer le clou en voyant l'espèce de tolé qu'il a déclenché, mais il a juste mis le plus gros en réserve pour une fois qu'il serait élu. 
    • Jayce Piel : C'est possible pour la diminution du marché, mais pas inévitable. Plus de population veut aussi dire plus de besoins et plus de services. Il peut y avoir de nouveaux métiers qui vont être créés.

      Et si Hamon a effectivement voulu ne pas enfoncer le clou pendant la campagne, c'est bien la preuve qu'il n'a pas le courage de mener à bien le projet complexe qu'est le RU.
    • Jean-Marc Gargantiel : Je ne vois pas ça comme toi, mais bon... on verra bien hein! ;)

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